Musées et patrimoines au Brésil
Expériences communautaires et insurgentes
Journée d’étude organisée par le Centre Georges Chevrier
12 mars 2019
MSH de Dijon (Forum des savoirs)
Face à la dramatique actualité politique brésilienne, aux conséquences sociales, écologiques et
culturelles aujourd’hui incalculables, il n’est pas inutile de souligner la singularité et la richesse des
expérimentations en muséologie et patrimoine qui s’y déroulent depuis la fin des années 1980.
Hugues de Varine n’a-t-il pas avancé que le Brésil « est un des leaders de la nouvelle muséologie ».
Alors même que la France a tourné le dos depuis longtemps à ce courant novateur, né dans les
années soixante de la critique radicale du musée européen, bourgeois, centré sur la collection et les
beaux-arts, le mouvement muséologique brésilien a généré des formes originales et plurielles,
musées communautaires, indigènes, de rue, de favelas…, visant le changement social et développant
une fonction politique d’encapacitation des personnes et des collectifs.
À cette première différence de taille entre France et Brésil s’en ajoute une seconde qui tient au lien
étroit entre musée et patrimoine pensé par la muséologie sociale, quand des partages divers –
mobilier/immobilier, matériel/immatériel –, aux effets neutralisant, différencient les institutions
françaises et formatent les approches. Peut-être est-il alors possible d’avancer un troisième
contraste, relatif alors au poids des institutions patrimoniales au regard de leur ancienneté et de la
force des traditions qu’elles ont instaurées : la « jeunesse » des institutions brésiliennes favorisant
une plus grande labilité de la notion de patrimoine, son appropriation et l’émergence de pratiques
« insurgentes » (Castriota).
Cette journée donnera lieu à la présentation de situations singulières qui permettront de faire valoir
la singularité des approches et pratiques brésiliennes. Effet direct d’une « mobilité sortante »
soutenue par la Région de Bourgogne-Franche-Comté, elle est une première concrétisation d’un
partenariat entre l’université de Bourgogne et l’université fédérale de Pelotas (RS) et constitue
l’amorce d’un réseau de recherche unissant le Centre Georges Chevrier (Université de Bourgogne), le
Programme d’études supérieures en mémoires sociales et patrimoine (Université Fédérale de
Pelotas), le Programme de Post-Graduation en environnement bâti et patrimoine soutenable
(Université Fédérale du Minas Gerais), et l’université Fédérale de Goias (Bacharelado en Muséologie
et Programme de Post-graduation en Anthropologie Sociale).
PROGRAMME
10h-10h15
Jean-Louis Tornatore (uB, CGC)
Ouverture
Matin : 10h15-12h30
Modérateur : Alain Chenevez (uB, CGC)
Manuelina Duarte (Université de Liège et l’Université Fédérale de Goiás, Brésil)
Muséologie sociale au Brésil: origines, politiques publiques et expériences
Influencé par la Nouvelle Muséologie française mais aussi enracinée dans les singularités brésiliennes
et surtout nourrie de la pensée de Paulo Freire, la Muséologie sociale au Brésil a eu des momentsclés
: la 1ère Rencontre Internationale des Ecomusées à Rio de Janeiro (1992), la création du
Programme Points de Mémoire par l’Institut Brésilien des Musées (2009). Notre conférence va
présenter cette trajectoire, caractériser la politique publique mentionnée et montrer quelques
expériences concrètes.
Maria Leticia Mazzucchi Ferreira (Université fédérale de Pelotas, RS, Brésil)
Le programme Points de Mémoire: un essai sur la participation populaire?
Le programme Points de Mémoire a été mis en place au Brésil sous le gouvernement du PT et était
lié aux ministères de la Justice et de la Culture. L’idée de la mémoire était directement articulée aux
processus d’identité et de réparation symbolique des groupes socialement exclus. Parmi les diverses
expériences créditées en tant que « Points de mémoire », on peut citer les soi-disant « musées
communautaires ». On voudrait pointer ici les problèmes et avancées de cette politique mémoriale
dans le pays.
14h-17h
Modératrice : Yannick Sencébé (AgroSup Dijon, CAESER)
Hugues de Varine
L'inculturation dans la muséologie brésilienne
À côté d'un ensemble de mouvements innovants plutôt inclusifs que l'on peut attribuer à une
« Nouvelle muséologie » brésilienne (éducation patrimoniale, travail sur la mémoire, écomusées,
musées communautaires et de territoires), je note l'apparition de formes, de réseaux et de
personnalités qui marquent l'invention de muséologies propres à certaines populations qui utilisent
le musée comme outil de luttes politiques, sociales, culturelles, économiques, au sein de la société
brésilienne. Trois domaines sont particulièrement exemplaires par leurs objectifs et leurs méthodes:
la muséologie indigène, la muséologie afro-brésilienne, la muséologie LGBT. On assiste là à des
phénomènes qui sont nés depuis les années 1990 et qui sont d'une particulière actualité dans le
nouveau contexte politique. On peut parler d'une "inculturation", en réaction à des formes
d'oppression.
Leonardo Castriota (Université fédérale du Minas Gerais, Brésil)
Patrimoines insurgents. Esthétisation et résistance culturelle dans le Brésil contemporain
Ces dernières années, se sont multipliées dans des villes brésiliennes des initiatives « d’action
directe » visant l’occupation et la réutilisation de sites et édifices publics, ayant une valeur
patrimoniale, dans une critique - plus ou moins claire - de la représentativité du pouvoir constitué ou
même des instances formelles de participation, tels que les conseils du patrimoine, qui se sont
inscrits dans la lutte pour la re-démocratisation du pays depuis les années 1970. On proposera des
éléments de problématisation de cette perspective « insurgente » dans le domaine du patrimoine,
occupation de rues, de places et d’édifices abandonné ou inutilisés du Brésil, remettant en question
le droit à la ville et à la mémoire.
Jean-Louis Tornatore
Conclusion. Perspectives : insurgences, contre-hégémonie
On voudrait proposer une mise en contraste des situations brésiliennes et françaises. Le
développement remarquable, ici, de la muséologie sociale et d’une expression insurgente des
attachements patrimoniaux doit être mesuré à l’éventualité d’écrire, là, un scénario contrehégémonique
du patrimoine. Au croisement de l’une et de l’autre, est interrogée la possibilité de
« retourner » les institutions muséales et patrimoniales, et, partant, leur capacité de transformation
sociale et de résistance aux hégémonies politico-économiques.
Les intervenant.e.s :
Manuelina Duarte est professeure de muséologie à l’Université de Liège (Belgique) et professeure au
Programme de Post-Graduation (master/doctorat) en Anthropologie Sociale de l’Université Fédérale
de Goiás au Brésil. Elle a été Directrice du Département des Processus Muséaux de l’Institut Brésilien
des Musées (IBRAM) de 2015 à 2016.
Maria Leticia Mazzucchi Ferreira est professeure à l’Université Fédérale de Pelotas et chercheuse au
Programme de Master et Doctorat en Mémoire Sociale et Patrimoine Cultural et au Conseil National
de Recherche Scientifique, CNPq. Elle mène des recherches sur les musées de la mémoire et du
patrimoine dans les lieux de souffrance.
Hugues de Varine est ancien directeur de l’ICOM. Il est un acteur et un observateur des écomusées
et de la muséologie sociale. Il a publié notamment La culture des autres (Le Seuil, 1976), Les racines
du futur (Asdic, 2002), L'écomusée singulier et pluriel (Paris, L'Harmattan, 2017).
Leonardo Castriota est professeur à l’École d’architecture de l'Université Fédérale du Minas Gerais et
coordonnateur adjoint du Programme de Post-Graduation en environnement bâti et patrimoine
soutenable. Il conduit actuellement des recherches sur les patrimoines insurgents
Jean-Louis Tornatore est anthropologue, professeur au Département Institut Diderot de l’Université
de Bourgogne et directeur du Centre Georges Chevrier (UMR 7366 CNRS-uB). Il travaille actuellement
sur les possibilités de développer un scénario contre-hégémonique du patrimoine.
https://www.icom-musees.fr/actualites/agenda/musees-et-patrimoines-au-bresil-experiences-communautaires-et-insurgentes